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Les Marquises comme au temps des corsaires Le Matin de Paris 1er juin 1978
Les Marquises
Le Matin de Paris 1er juin 1978
Les Marquises comme au temps des corsaires
Leur nom court dans les livres, dans les musiques, dans les peintures, évocateur de mille paradis : les Marquises. Demandez autour de vous, personne ne sait exactement où elles sont, le Pacifique est si vaste… Pourtant, les Marquises appartiennent à la Polynésie française et elles n’ont pas encore été envahies par les touristes.
ALVARO DE MENDENA DE NEYRA, le capitaine Cook, Marchand, Krusenstern les découvrirent chacun son tour, les baptisèrent à leur fantaisie et les abandonnèrent dans le sillage de leurs navires ; puis vinrent les baleiniers et les coureurs de mer. Tous ces gens-là passaient, qui laissant sa variole, qui sa syphilis, qui son alcool, qui ses chèvres. Charmants souvenirs, population décimée, végétation ravagée Il y a deux siècles et demi environ, cent mille Marquisiens se tapaient joyeusement sur la tête d’une vallée à l’autre pour mieux se déguster lors de festins mémorables. Aujourd’hui, ils sont à peine six mille à pouvoir se demander ce que leur réserve l’avenir. Et encore, ils l’ont échappé belle, en 1930, ils n’étaient plus que deux mille. S’ils n’avaient pas eu un médecin, le docteur Louis Rollin, comme résident pendant près de dix ans, lequel mit tout son art au service de la démographie, on parlerait d’eux au passé. De leurs ancêtres, ils ont gardé l’allure et la beauté mais perdu les coutumes que des générations de missionnaires ont combattues vigoureusement. D’ailleurs, les autorités religieuses exercent encore un pouvoir sur les individus et une influence sur l’administration dignes du siècle dernier.
Voyage dans le temps, au bout du monde. Pour ceux que l’affluence des Baléares terrifie : aux Marquises vous ne risquez rien, s’il y a quatre lits hôteliers par île, c’est bien un maximum !
En dehors de tous les axes de circulation, l’archipel est desservi, à partir de Tahiti, par deux ou trois ou quatre goélettes aux horaires vagues et aux itinéraires soumis à la volonté mystérieuse du « subrécargue » qui orchestre le chargement et le déchargement des marchandises (aussi bien de la dynamite que des noix de coco), éternel sujet de conversation des Marquisiens et une des distractions favorites. La classe pont, moins chère, est préférable en tout point, les relations sociales sont aisées, la ventilation excellente, ce qui n’est pas souvent le cas dans les cabine. Prévoir un couchage confortable.
Chaque lundi, un Twin Oter 300 d’Air Polynésie s’envole de l’aéroport de Fa ; avec à son bord une quinzaine de passagers chanceux : il faut postuler deux ou trois mois à l’avance pour avoir une place. Le voyageur, dûment pesé avec son sac à main, embarque sur un avion où le confort a été sacrifié au poids et à la place mais il va bénéficier d’un aménagement unique car les toilettes sont dotées d’un hublot. Accomplir un rite naturel en tête à tête avec le ciel est suffisamment rare pour qu’on en parle !
12 h 30. Après les deux escales de Takapoto et de Napuka, tout l’avion cherche des yeux et du radar l’île d’Hiva du groupe sud des Marquises. Des nuages en grappes se mélangent à la mer comme pour la préserver jusqu’au dernier moment du reste de l’univers un minuscule terrain d’atterrissage, haut perché entre les montagnes, les novices du trajet sont un peu crispés. Ouf ! nous y voilà. Il fait doux, il pleut. Les bonnes sœurs accueillent le curé ; les gendarmes, le gendarme ; le maire, les fonctionnaires en mission.
Hiva Oa, capitale Atuona, est l’île de Gauguin (Coquin, disaient les missionnaires). Il ne reste de lui que sa tombe rénovée par la célébrité. Rien de palpable dans le souvenir de Rogation, qui avait six ans lorsqu’il est mort, ni dans celui de sa fille âgée de soixante-seize ans, une Marquisienne comme les autres, qui vit dans la vallée de Pua Mau. Rien que la solitude du cimetière, la solitude des Marquises.
Dans cet archipel, à peine effleuré par le XX° siècle, pas d’électricité, 5 km de routes goudronnées, aucune industrie, les moyens de communication d’une île à l’autre sont pratiquement inexistants. A l’intérieur des îles, à cause du relief volcanique et tourmenté, il n’est pas facile de passer d’une vallée à l’autre. Certains ne sont accessibles que par la mer. Dans chaque vallée, les maisons sont éparpillées. Il n’y a pas de place de village, pas d’arbre privilégié pour la palabre et en dehors de l’église, pas de lieu de rencontres, la solitude pour tous.
La terre froissée émerge en masse noire et prenante d’une mer presque tendre. Les vagues caressent de satin blanc le sable gris foncé. Des ruissellements de cocotiers dévalent le flanc des montagnes. Au coucher et au lever du soleil, toute la nature se met à luire de façon irréelle, la lumière est comme suspendue dans un état de grâce. Mais il suffit de tourner le dos à l’océan pour comprendre les Marquises. Le cirque des montagnes, qui enferme souvent la vallée de façon impénétrable, enferme aussi les hommes. Si, pour le voyageur qui passe le paysage est exceptionnel, pour le Marquisien il représente toute la difficulté de vivre.
Catherine Domain
Les Marquises pratiques
Un des cinq archipels qui forment la Polynésie française (îles de la Société, Tuamotu, les Gambiers et les Australes).
* Au nord-est de Tahiti (1 500 km)
* Six île principales :
Nuku Hiva : siège de l’administration, 1 467 habitants.
Ua Uka : aéroport, liaison avec Hiva Oa ; le lundi, 358 habitants
Tahuata : 609 habitants
Hiva Oa : aéroport, liaison avec Tahiti et Ua Uka
Fatu Hiva : 429 habitants.
Le recensement date de 1971. La superficie totale de l’archipel n’excède pas 1 300km2.
* Climat subtropical (28°c en moyenne). La saison de pluies s’étend généralement de mars à mai. Curieusement, les Marquises viennent de connaître une longue période de sécheresse. Il y a de sérieux problèmes d’eau à Ua Pou.
jeudi 26 novembre 2015, par